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François Coupry

  • Vilaines Pensées 173 : L’humeur des morts (de François COUPRY)

    Vilaines Pensées 173 : L’humeur des morts

     

    Malheur aux morts qui se laissent brûler par des familles discrètes ? Les morts dont, en des cercueils, subsistent des bouts compacts et surtout des ossements, eux, ils peuvent, au moins, se retourner dans leur tombe - et ils font un boucan considérable ! Ecoutons, l’oreille ouverte, dans un cimetière sous la lune, les bruits des cadavres, c’est-à-dire leurs... pensées.

    Ils remuent sous la terre, se tournent, se retournent, ils rouspètent, ils protestent, surtout s’ils ont passé leur vie dans la misère :

    « Autrefois, les pauvres servaient à quelque chose, ils travaillaient, cultivaient des céréales pour les ventres ou produisaient des aciers pour l’industrie. Ils servaient pour les plus aisés à pratiquer la charité, recommandée par les Eglises, les Synagogues ou les Mosquées. Ils servaient pour les progressistes et les révolutionnaires à envisager le Grand Soir et la fin des exploitations, l’égalité enfin ! Aujourd’hui, pour les politiques et les économistes, les pauvres ne servent qu’à alimenter le chômage, les cultures et les industries ayant de moins en moins besoin de main-d’oeuvre, l’informatique encore moins, et chaque gouvernement, de droite, de gauche ou du centre, se demande quoi faire de ces marées de pauvres, sans oser démocratiquement les éliminer radicalement. »

    Les morts de tous les siècles se retournent dans leurs cercueils, ils râlent, même ceux qui ont eu une riche vie, ils crient de leurs dents déchaussées :

    « Notre mémoire ancestrale le sait : il n’y a nul progrès, chaque invention nouvelle se détruit aussitôt, tout se casse, se remet en question, l’évolution humaine est un échec total, nous n’avons réussi qu’à salir une planète ridicule et presque inconnue dans le Cosmos... Mais pourtant, depuis un siècle, avec outrecuidance, un progrès considérable se laisse admirer, celui de la médecine : là, les inventions ont un effet, on se soigne, on guérit, on rêve soudain à une possible immortalité ! Cependant, la plupart d’entre nous, les morts, sont partis très jeunes de la vie, et quand nous voyons aujourd’hui les sciences préserver et sauver tellement d’enfants malades, autrefois vite oubliés, nous nous permettons, au delà de toute décence et de toute morale, d’alerter les vivants sur le danger d’une surpopulation dont le poids écrasera une planète déjà à moitié détruite, étouffée. »

    Ainsi chantent les morts, sous les tombes de pierre - et en vérité les cendres des cadavres incinérés hurlent aussi, s’agitant par vague dans leur urne funéraire, se jurant de bientôt recouvrir la planète de leur poussière !

     

     

     

  • Vilaine pensée n°172 " Du côté de chez Swift... " (de François Coupry)

    Vilaines Pensées 172 : Le plaisir de revenir en arrière ?

     

    On oublie souvent que Lemuel Gulliver, après son séjour à Laputa, alla en Franchimancie. Si, par la taille, les Franchimanciennes et les Franchimanciens ne se différenciaient guère de l’auteur des Voyages, des signes extérieurs de richesse intriguaient d’abord les étrangers.

    Au milieu de hautes tours transparentes, les habitants faisaient commerce de n’importe quoi aux quatre coins du monde. Un jour, au gré de leurs investissements et des mouvements boursiers, ils pouvaient devenir pauvres, puis s’enrichir de nouveau le lendemain. Ils sublimaient cette précarité par une désinvolture seigneuriale, et s’enorgueillissaient de l’égalité radicale entre mâles et dames. Ils prétendaient, peut-être avec raison, représenter l’avenir, l’harmonie et la paix.

    Autour de ces grandes villes, dans les provinces, les campagnes, les banlieues, les villages, régnait une pauvreté permanente, et l’on parvenait mal à s’enrichir du jour au lendemain. Mais ce qui frappa Gulliver, visitant ces zones rurales et populaires, ce fut que les urbains émancipés, qui l’accompagnaient, ne remarquaient point la présence de ces autochtones, quand ceux-ci ignoraient l’existence de celles et ceux des grandes villes.

    De plus, ces gens au milieu de champs cultivés vivaient dans un univers de hiérarchies, de haines entre classes sociales, de violences contre les nantis ou les patrons forcément méchants, un climat religieux de traditions familiales, de mépris de la femme, et d’incessantes manifestations ou grèves pour gagner des droits ou maintenir les acquis sociaux.

    Gulliver mit longtemps avant de comprendre la cause de la coexistence de ces deux mondes parallèles qui ne communiquaient pas : en vérité, un moyen de voyager dans le temps avait été expérimenté, et beaucoup de citoyens de la Franchimancie s’étaient réfugiés dans les époques passées, par peur des énormités de la modernité. Ils vivaient comme en Europe au dix-neuvième siècle, et ils se disaient heureux.

    Mais, à y regarder de plus près, ils se disaient heureux non point par goût réactionnaire des archaïsmes, mais bien au contraire pour devenir révolutionnaires. Ils faisaient leurs guerres et ils luttaient pour un avenir meilleur... qui, certainement, ressemblerait au monde qu’ils ne voulaient pas voir, qu’ils détestaient, et que les autres, celles et ceux qui n’avaient pas voulu revenir en arrière, construisaient ou avaient déjà construit !

    Lemuel Gulliver s’en alla vite de ces vertiges et de ces aveuglements.

     

     

     

  • Jean-Claude Bologne entre "dans les coulisses du monde" grâce à François Coupry

    François Coupry, L’agonie de Gutenberg, Pierre-Guillaume de Roux, 2018.

    Coupry          Pendant cinq ans, sur le compte Facebook de François Coupry ont paru de « vilaines pensées ». Qui les écrivait ? Ses amis ne pouvaient imaginer que c’était lui qui racontait son « plaisir suffoqué » devant l’effondrement du World Trade Center (« On dirait du cinéma »), ou son malaise de riche « terriblement encombré » de sa richesse. Ce ne pouvait être lui qui brisait les pires tabous du XXIe siècle, bien pires que le celui de l’inceste, « le goût du passé, le sens de l’histoire, l’usage de la culture ».
              Non non, ce n’est pas lui : c’est madame de Sévigné qui écrit à sa cousine, c’est Montesquieu qui nous envoie d’outre-monde de nouvelles lettres persanes, c’est la petite souris Joséphine ou ce vieux fou de Piano — « mon pire ennemi, mon complice, peut-être mon double, ou celui qui me tend un miroir », s’effraie François Coupry, le vrai, l’unique ! La preuve ? Tous ces spectateurs ahuris d’un monde en folie parlent peu ou prou de François Coupry, lisent ses livres, le regardent vivre. Bien sûr, Piano est sourd d’une oreille, comme François, mais qu’est-ce que cela prouve ?
              Alors, écoutons sans arrière-(mauvaises)-pensées ces mauvaises (pensées) langues, goûtons sans retenue au plaisir de ces textes qui se présentent tour à tour comme des réflexions paradoxales, des saynètes, des inventions insolites, des fables… Si elles nous choquent, c’est parce qu’elles parlent du monde tel qu’il est, vu d’on ne sait où, et que « rien n’est plus odieux que l’ordinaire ». Mais, plus profondément, parce que les personnages introduisent un décalage constant entre le monde et sa représentation. Ce sont des voyeurs plus que des spectateurs, comme les oiseaux qui, dans les derniers textes, commentent de haut les actions insensées de ces « pauvres humains ». Et en commentant le monde, ils laissent une partie d’eux imprégner l’illusion du réel.
              Une partie d’eux ? De leur masque, plutôt, car tous jouent un rôle. Un certain Karl a passé sa vie sur une scène de théâtre, François Hollande joue au président, l’homme invisible s’est affublé d’un masque visible, et ne parlons pas de Piano, qui « joue » au docteur, au « détective de la pensée », à bien d’autres métiers, avant de finir à l’asile. N’est-ce pas la caractéristique de notre monde, de préférer la communication à l’information et le story-telling à la vérité ? Car « la marque de l’humain – sa beauté, dirais-je – réside dans le mensonge. » Et de ce point de vue, l’époque actuelle a fini par rejoindre François Coupry (ou l’inverse) en érigeant la « post-vérité » en concept philosophique ! Derrière des récits d’apparence loufoque se profilent des réflexions graves. Le califat de Bretagne, qui impose le voile intégral aux Bigoudènes, peut en cacher un autre. Le duel entre la sorcière de l’Est et le sourcier de l’Ouest nous raconte une campagne électorale bien connue. Et ceux qui croient en une transcendance sans vouloir se fondre dans une religion expriment peut-être « la conception la plus forte et la plus active de la Laïcité ».
              On retrouve dans ces courts récits rédigés sur cinq ans les thèmes chers à François Coupry, en particulier la priorité donnée à la fiction sur la réalité, les récits créant le monde plutôt qu’ils ne le décrivent. Explicitement, dans des notes récapitulatives pour un colloque. Implicitement, à travers les jeux de miroir ou de rideaux de théâtre. S’il y a tant d’acteurs et tant de masques chez François Coupry, c’est parce que le monde lui-même est un jeu de rôles. Un thème jadis développé dans Notre société de fiction. La fonction du merveilleux n’est dès lors pas de faire rêver, mais « de faire saisir la relativité et surtout l’imperfection absolue des points de vue ».
              La mauvaise pensée, parce qu’elle scandalise, entre dans ce projet. Elle entend mettre le lecteur « en un état de trouble et d’étonnement stupéfait », par des textes qui ne sont pas illogiques, mais construits selon des logiques inconnues, comme s’il s’agissait d’un ouvrage « très réaliste mais rédigé par un ovni » ou plutôt, selon le terme qui apparaîtra un peu plus loin, par un evni, un être vivant non identifié. Peu importe que ce soit Piano, la petite souris ou François Coupry qui parle : c’est le « mutant rétro », personnage de son propre récit, qui s’invente devant un public médusé. Et peu importe si Piano parle devant des salles vides et défile tout seul sur les boulevards parisiens : cela fait partie de son rôle. Comme le fantôme du Président, que « la trop vaste complexité du pouvoir politique » a dépossédé de lui-même. Peu à peu, il va devenir invisible, « tout voir sans être vu, agir en catimini, à l’insu de tous »… En somme, comme la petite souris, ou comme l’Internaute sur FaceBook. Car ce qui disparaît, c’est le vieux monde, celui de Gutenberg, celui du personnage de François Coupry, dont il est le premier à se moquer. Et ce qui se profile, c’est un nouveau monde dont l’écrivain François Coupry nous dévoile les règles paradoxales. À lire ces récits comme les matrices du réel et non comme son reflet déformé, nous entrerons peut-être dans les coulisses du monde, nous découvrirons ce que l’homme ne sait pas encore, mais que nul ornithorynque n’ignore.

  • Vilaine pensée n°171 "Fin du suspens ?" (François COUPRY)

    Vilaines Pensées 171 : Suite et fin du... Fabuleux Feuilleton pour envenimer la paranoïa !

     

    Horrifié de se croire Dieu, M. Piano, par esprit scientifique, envisagea de renouveler l’expérience - le dévoilement des données recueillies tuerait-il une autre personne, au hasard ? Mais voilà que Mme Piano arriva dans la pièce : Je me demande ce que Gogol and co connaissent de moi ? dit-elle.

    De plus en plus affolé, notre Piano, lâchement, suggéra de plutôt chercher les données enregistrées d’une lointaine cousine qu’on ne voyait jamais.

    L’écran du petit ordinateur portable afficha les vices, les obsessions, les achats sacrilèges, les connexions curieuses, c’est-à-dire la beauté, l’originalité, la vitalité, le génie, en somme la liberté de cette cousine qu’on ne voyait jamais - jusqu’au moment où l’ordinateur afficha en rouge la phrase fatidique en annonçant le décès, et où M. Piano, prudent bien que divin, l’éteignit avant que son épouse ne saisisse le désastre, clic !

    Mme Piano donc ignora son pouvoir de vie et de mort, et le couple Piano jouit quelques mois de ce rôle admirable, de ce privilège d’être les gardiens de la mémoire universelle. Mais nul voyageur ne se présenta, comme en un conte de Kafka, pour pénétrer entre les portes ouvertes de la Loi ; et M. Piano, trop angoissé bien que divin, refusa de remettre en marche le petit ordinateur, de crainte de déterminer encore la mort d’un être humain en découvrant ses secrets les plus intimes, en le dénudant trop !

    Mais, pour occuper son angoisse, M. Piano inspectait toujours le ciel : jamais nul nuage ne se signalait, qui regrouperait les confidences de l’humanité. Alors, il décida d’inspecter le sous-sol, ayant remarqué une trappe sous la table de la cuisine de la maisonnette.

    Dans le noir, de sombres souterrains, comme dans un roman gothique, allaient vers des galeries qui sentaient le moisi ; des couloirs qu’éclairait la torche tenue par les Piano, jusqu’au plus profond : au milieu de toiles d’araignée reposait, massive, une vieille machine qui délivrait parfois des cartes perforées, comme il y a des siècles ! Ainsi, Google, Apple, Facebook, Amazone, Microsoft and co sous l’apparence d’une modernité, utilisaient les moyens les plus archaïques pour être des dieux, et pouvoir déterminer la mort de l’autre par le truchement de la Connaissance !

    Mme Piano portait les valises : — On s’en va. — On va se faire assassiner ! — Tais-toi, mec moderne, et arrêtons de nous prendre pour Dieu, Il rigole de nous. Ils couraient sur la plaine d’herbes rases, les Piano, et prirent le premier train dans une gare qu’ils cherchèrent longtemps.

     

     

     

  • Vilaine pensée n°170 " Un feuilleton qui s'interrompt bien sûr en plein suspens ! " (François COUPRY)

    Vilaines Pensées 170 : Fabuleux feuilleton pour envenimer la paranoïa !

     

    Voilà que M. Piano fut nommé « l’homme le plus moderne de l’année » par un jury slovaque - parce qu’il aurait sublimé à merveille les bouleversements des pensées et de l’univers.

    Content, Piano coupa plus courts ses cheveux et porta désormais un pull orné de canards ; et Mme Piano, bien que féministement vexée de n’être que la muse, rajeunit à vue d’oeil, teint ses cheveux en blanc.

    Du coup, Gogol and co (c’est-à-dire la GAPA) proposa au couple de devenir les gardiens des données mondialement collectées. M. Piano accepta illico cet honneur, sans trop philosopher ; et Mme Piano, après avoir un tantinet disserté sur le problème du dévoilement systématique de la vie privée, finit par accepter - sans trop d’enthousiasme.

    Enthousiaste - car pour lui la protection de la vie privée restait réactionnaire -, notre Piano fut néanmoins d’abord dépité : il s’attendait à un immense immeuble apte à contenir l’immensité de ces données, mais les agents de Gogol and co menèrent le couple sur une plaine d’herbes rases où ne s’élevait qu’une maisonnette, assez laide, en brique.

    Piano demanda où se trouvaient les données. On lui répliqua qu’on oublierait cette question, digne d’un vieux con : tout reposait dans un nuage immatériel et numérique, bien sûr ! Piano fit comme s’il avait plaisanté, ne voulant point ternir son image d’homme le plus moderne - mais il examina le ciel bleu : nul nuage au dessus de la maisonnette, dont l’intérieur était agréablement meublé, avec des coussins qui plurent à Mme Piano.

    Dans la pièce destinée au travail des gardiens des données universelles, ne reposait qu’un petit et banal ordinateur portable, c’est tout. Pour vérifier qu’il pouvait se renseigner totalement sur n’importe qui, M. Piano tapa au hasard de ses doigts n’importe quel nom : aussitôt, sans tambour ni trompette, la masse des informations recueillies à la suite des achats, des démarches, des réponses aux enquêtes, des recherches quotidiennes de cette personne s’afficha, concernant ses goûts, ses pensées, ses maladies, ses options politiques, sexuelles, religieuses, et j’en passe, sur des pages et des pages d’écran ; et puis il y eut cette conclusion, en rouge clignotant : puisque vous savez tout de lui, cet être humain vient de mourir !

    Notre Piano d’abord s’inquiéta : Mme Piano le surveillait-elle ? Non. Alors, il put s’affoler : Suis-je devenu Dieu, qui peut décider de tuer celle ou celui qui a tout dévoilé de sa vie, désormais finie ?

    (A suivre demain, vers onze heure du matin...)

     

     

     

  • Yozone a aimé "L'agonie de Gutenberg" - merci à Hilaire Alrune

    couvcoupry.jpgAgonie de Gutenberg (L’)
    François Coupry
    Pierre Guillaume de Roux, essais / chroniques, 268 pages, mars 2018, 23€

    Qui ne trouve pas de support – éditeur ou revue – pour publier ses pensées crée un blog, ce qui permet à tout un chacun d’écrire dans le désert en ayant l’impression d’être lu, exactement comme celui qui pérore au-dessus du comptoir de zinc a l’impression d’être entendu. « L’Agonie de Gutenberg » inverse le mouvement : nés d’un blog/blogue, ses textes sont devenus de papier. Un petit arrière-goût de revanche qui, espérons-le, ne fera pas naître dans l’esprit des blogueurs trop d’espoirs inconsidérés : François Coupry ayant déjà quelques dizaines de volumes à son actif, il n’est pas étonnant de le retrouver une fois encore sur les étals des libraires.



    Sous-titré « Vilaines pensées 2013/2017 », « L’Agonie de Gutenberg » est donc composée de textes écrits au jour le jour sur le blog de l’auteur, lequel avoue, “avec le sournois et calculé souci d’une certaine cohérence”, avoir ajouté des textes qui, à l’époque, n’étaient pas aboutis. Un peu de reprise, et un peu de recul sur l’ensemble, mais assez peu cependant : les dates parlent d’elles-mêmes. Ce qui veut dire aussi un exercice par essence périlleux : lorsque l’on écrit dans le moment, lorsque l’on s’intéresse à l’actualité, on s’expose au grand écart perpétuel entre la platitude de comptoir et la pertinence prophétique, entre l’ironie facile et la perspicacité vraie, entre le constat désabusé et l’originalité de la vision.

    « Ainsi, la fiction croit toujours devoir s’insinuer dans une réalité qui la structurerait, lui donnerait sens : c’est le contraire qui arrive, l’épreuve du réel brouille et anesthésie les significations. »

    Une manière de contourner la difficulté est de donner à l’ensemble un aspect un peu moins instantané, ou un peu moins personnel, en utilisant des narrateurs divers (intermédiaires de pensée qui ne cherchent pas à donner le change très longtemps, comme « FC » ou « Monsieur Piano »), ou en passant par le fabliau, l’historiette, le conte, lesquels ne sont souvent déconnectés du contemporain qu’en apparence, et autorisent la mise en scène d’une naïveté feinte et révélatrice, d’une cruauté fictive mais non sans véritables correspondances avec le réel, d’une fantaisie en apparence débridée mais elle aussi permettant, pour l’observateur attentif, de mieux enfoncer le clou.

    C’est sans doute dans ces derniers registres que l’auteur est le plus à son aise, ce qui n’étonnera personne : on sait qu’il est une figure de ce groupe de la « Nouvelle Fiction », aux côtés d’auteurs tels que Georges-Olivier Châteaureynaud, Frederick Tristan ou Sylvain Jouty, qui n’en est pas à une invention près. On trouvera donc dans cette « Agonie de Gutenberg » des fables de tous types, décrivant des contrées qui malgré leurs attributs de contes ne sont jamais très éloignées de notre monde. Dans ces fables, des rois, des Candides, des voyageurs, des impératrices, des idiots, des sages, des princesses, des prétendants, des fantômes, des lois, des élections, des quêtes, des intelligences artificielles. Et bien d’autres choses encore.

    « Il y a un drame dans l’art du roman. Deux inventions nouvelles, et prétendument modernes, freinent les élans des raconteurs d’histoires : les téléphones portables et l’abolition de la peine de mort.  »

    Que l’on ne soit pas rassuré par le terme de contes. Certains d’entre eux sont particulièrement féroces, comme pouvaient l’être des « fables » d’Ambrose Bierce, ainsi de « La dramatique honnêteté de M. Piano » (2 avril 2014) ou de « L’Art de bâtir des projets heureux » (3 mars 2017). D’autres sont moins ouvertement grinçantes, plus doucereuses, tout au moins en apparence, car l’on finit bien souvent par percevoir comme un arrière-goût acide. Des gens bien intentionnés ne pourraient-ils pas dissuader les femmes d’accoucher ? Ne pourrait-on pas reconsidérer l’art de Franz Kafka à travers le prisme de l’offre et de la demande ? Ce sont ainsi mille et un questionnements révélateurs du monde comme il ne va pas qui sont ainsi proposés.

    Questionnements, mais aussi rencontres inattendues au fil de fables : un cadavre qui refuse obstinément de se décomposer, une balle de revolver qui se meut dans un temps différent et nous relate elle-même l’histoire d’un crime, une souris démocrate, des vieillards qui prétendent être de gauche, un singe qui, empaillé, continue à penser, un Dieu qui prend la parole comme si lui-même tenait un blog, et bien évidemment le diable – toutes sortes de créatures qui, si nous parvenons à l’admettre, et pour notre plus grand désespoir, ne sont bien souvent autres que nous-mêmes.

    «  Le conte, le merveilleux, reviennent visiblement et lucidement à la source, en s’épargnant l’illusion d’une réalité qui de toute manière reste indicible.  »

    Nous-mêmes, ou l’auteur lui-même : on le sait, les mots les plus fréquemment rencontrés sur internet ne sont autres que « moi » et « je ». Fort heureusement, par le biais de ses avatars, François Coupry évite l’écueil, ne se livre directement que par moments, comme par exemple lorsqu’il parle, à la date du 2 octobre 2014, de la place atypique de ses œuvres dans les genres littéraires. “ Je publie dans des collections et des éditions dites littéraires”, écrit-il, “mais suis trop littéraire pour le ghetto de l’imaginaire et trop délirant pour les tenants de la transcription d’un vécu sincère auquel le lecteur peut adhérer d’emblée.” On pourra conclure sur ces mots, car cette « Agonie de Gutenberg  » en est un exemple de plus. Une preuve, si besoin était, que l’on peut porter le même regard lucide sur le monde et sur soi-même.


    Titre : L’Agonie de Gutenberg (vilaines pensées, 2013-2017)
    Auteur : François Coupry
    Couverture : Sandra Musy
    Éditeur : Pierre Guillaume de Roux
    Site Internet : page roman (site éditeur)
    Pages : 268
    Format (en cm) :14 x 22,5
    Dépôt légal : mars 2018
    ISBN : 9782363712394
    Prix : 23 €