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Vilaine pensée n°172 " Du côté de chez Swift... " (de François Coupry)

Vilaines Pensées 172 : Le plaisir de revenir en arrière ?

 

On oublie souvent que Lemuel Gulliver, après son séjour à Laputa, alla en Franchimancie. Si, par la taille, les Franchimanciennes et les Franchimanciens ne se différenciaient guère de l’auteur des Voyages, des signes extérieurs de richesse intriguaient d’abord les étrangers.

Au milieu de hautes tours transparentes, les habitants faisaient commerce de n’importe quoi aux quatre coins du monde. Un jour, au gré de leurs investissements et des mouvements boursiers, ils pouvaient devenir pauvres, puis s’enrichir de nouveau le lendemain. Ils sublimaient cette précarité par une désinvolture seigneuriale, et s’enorgueillissaient de l’égalité radicale entre mâles et dames. Ils prétendaient, peut-être avec raison, représenter l’avenir, l’harmonie et la paix.

Autour de ces grandes villes, dans les provinces, les campagnes, les banlieues, les villages, régnait une pauvreté permanente, et l’on parvenait mal à s’enrichir du jour au lendemain. Mais ce qui frappa Gulliver, visitant ces zones rurales et populaires, ce fut que les urbains émancipés, qui l’accompagnaient, ne remarquaient point la présence de ces autochtones, quand ceux-ci ignoraient l’existence de celles et ceux des grandes villes.

De plus, ces gens au milieu de champs cultivés vivaient dans un univers de hiérarchies, de haines entre classes sociales, de violences contre les nantis ou les patrons forcément méchants, un climat religieux de traditions familiales, de mépris de la femme, et d’incessantes manifestations ou grèves pour gagner des droits ou maintenir les acquis sociaux.

Gulliver mit longtemps avant de comprendre la cause de la coexistence de ces deux mondes parallèles qui ne communiquaient pas : en vérité, un moyen de voyager dans le temps avait été expérimenté, et beaucoup de citoyens de la Franchimancie s’étaient réfugiés dans les époques passées, par peur des énormités de la modernité. Ils vivaient comme en Europe au dix-neuvième siècle, et ils se disaient heureux.

Mais, à y regarder de plus près, ils se disaient heureux non point par goût réactionnaire des archaïsmes, mais bien au contraire pour devenir révolutionnaires. Ils faisaient leurs guerres et ils luttaient pour un avenir meilleur... qui, certainement, ressemblerait au monde qu’ils ne voulaient pas voir, qu’ils détestaient, et que les autres, celles et ceux qui n’avaient pas voulu revenir en arrière, construisaient ou avaient déjà construit !

Lemuel Gulliver s’en alla vite de ces vertiges et de ces aveuglements.

 

 

 

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