Pop Rock analyse "Ambassador Hotel" de Marie Desjardins
Ambassador Hotel roman analysé par Ricardo Langlois
Comment vit-on lorsqu’on est une rock star ?
Existe-t-il un mode d’emploi ? L’auteure nous propose un voyage dans le temps. Le lecteur, pris à témoin, traverse une succession de paysages. Des espaces-temps bien définis. Le leader du groupe RIGHT, Roman Rowan se raconte. Les débuts (le chaos, la frénésie charnelle et existentielle) et la fondation d’un band. Le chanteur est messager, prophète, amant, martyr, confident ou simplement une âme qui cherche son ciel. Un événement bouleverse la destinée. En 1968, alors que le groupe se trouve à l’Ambassador Hotel, Bob Kennedy sera assassiné.
Cette tragédie deviendra une chanson Shooting at the Hotel.
Dès le premier chapitre, le lecteur se trouve au beau milieu du Centre Bell à Montréal. RIGHT existait depuis 1967, nageait sur un seul tube depuis 1968, était mort deux fois pour ressusciter en 2000… (p. 19). Et puis soudainement il doit faire face à la réalité de la vie, sur une plage sublime. Le chanteur écoute les conversations de sa femme et de sa fille, penchées sur leur iPhone. Nous sommes en 2014. Presque à 70 ans? Et c’est alors que les souvenirs reviennent nous hanter. Le phénomène Beatles, le psychédélisme (p. 209). Ici et là, dans le roman, des portes s’ouvrent. Le guitariste se raconte en jouant la carte de l’humilité : Je n’ai jamais considéré que j’avais le calibre d’un Hendrix ou d’un Page mais j’étais comme l’œuf dans une mayonnaise (p. 248). Métaphore intéressante.
LE ROCK EST UN ART
Le chanteur rock est une icône. L’aiguillon de la conquête. Réinventer le désir. L’Homme cherchant le premier regard inaltéré, reflet ardent de visions futures érodées par la répétition du plaisir. Être dans la NOSTALGIE, transformer sa conscience en mémoire. Il découvre son pouvoir de conteur, de troubadour, de poète. Un passé de rock’n’roll avec ses idoles comme symbole de réconciliation avec l’humilité du moment. La solitude du créateur est transgressée à plusieurs reprises.
L’historique ? Le lecteur a son propre rôle en tant qu’humain dans la société. Bob Dylan et Bruce Springsteen en ont parlé dans leurs œuvres respectives (Blonde on Blonde, Born to Run). Dans ce roman, un musicien confie : Que vous soyez une rock star, un mécanicien, un médecin de grande réputation, quelle importance réelle cela est-il au regard de l’éternité? (p. 294) Bien sûr l’auteure explique la sagesse, le privilège de pouvoir créer, réfléchir, agir, évoluer. Le rock est un art. Elle visualise pour nous les années magiques. Tout ce qui s’est passé dès 1970 (la musique, la mode, la mort de Jimi Hendrix et de Janis Joplin, l’enregistrement d’Exile on Main Street dans un château (p. 306)…
Cette brèche qui laisse échapper la lumière, disait Leonard Cohen… Elle traverse tout ce récit (cette immense brique). Comment ressouder le monde, ses lois, ses musiques, ses convictions, sa contre-culture, surtout sa Mémoire ?
Marie Desjardins a fait un travail d’archéologie et de clairvoyance. Le temps est déréglé. Le chapitre 26, de la 3ème partie, est fabuleux : un fan devenu journaliste (et fan fini de RIGHT) a écrit et rencontré Mick Jagger, Joe Cocker, Stevie Nicks, Eric Clapton, Robert Plant, Elton John, Steve Tyler…entre deux lignes de coke, il écrit sur son ordinateur. Il a grandi et vénérant Jim Morrison, mais Rowan est un sujet de prédilection. Il va écrire une biographie non autorisée. Cette saga d’une rock star est un pari sur l’existence. La plénitude d’une conscience et surtout un chemin vers la reconnaissance. La musique rock permet de nous élever vers quelque chose de plus grand que nous. Il y a des moments où tout bascule. Je m’arrête sur la fameuse nuit d’août 1969, l’actrice Sharon Tate et des amis qui ont été poignardés à mort… Un sujet de chanson? Roman se sent insulté et se retrouve en prison (p. 521). Pourquoi l’auteure ne fait que survoler un moment aussi fort? (petit bémol ici)
INSPIRÉ PAR NIETZSCHE ?
Nietzche a peut-être inspiré l’auteur, qui sait? Jim Morrison est mort trop jeune et pourtant, il s’en inspirait. Pour le chanteur de RIGHT, le poète épique vit heureux parmi ces images, ne prend plaisir qu’à elles seules et ne se lasse pas de les contempler amoureusement (p. 41. La naissance de la tragédie, Folio 1986).
Une autobiographie philosophique et intemporelle. Plus loin, un aveu sur Shooting at the Hotel : Chaque fois que je la chante, je demande pardon à mon père et à Bob Kennedy. Ce n’est pas si facile (p. 300). Un mouvement de gratitude s’installe. J’ai pensé à un acte de contrition à la manière de Dante (Le Purgatoire).
La grande finale, il faut lire l’épilogue.
Une femme qu’il a rencontrée lui fera connaître la face cachée de son destin.
Intense, rock’n’roll et recherche philosophique sur notre passage ici- bas.
Bonne lecture !!!