Entretien entre Pierre Ménat et Sylvie Ferrando
Rencontre avec Pierre Ménat, Paris, le 5 janvier 2018, par Sylvie Ferrando
1/ Vous avez effectué plusieurs missions diplomatiques, et en particulier vous avez été nommé aux postes d’ambassadeur de France en Roumanie, en Pologne, en Tunisie et aux Pays-Bas. Pouvez-vous revenir sur votre carrière ? Quels ont été les points forts de ces missions ? Laquelle de ces missions ou lequel de ces pays avez-vous préférés ? Quels souvenirs marquants pouvez-vous nous confier ?
J’ai en effet exercé la fonction d’ambassadeur de France en Roumanie de 1997 à 2002, en Pologne de 2004 à 2007, puis en Tunisie de 2009 à 2011 et enfin aux Pays-Bas de 2011 à 2014. Auparavant, j’avais été affecté à New York à la mission française auprès de l’ONU entre 1988 et 1992 et j’avais servi de nombreuses années à Paris, en particulier en tant que conseiller à l’Elysée pour les affaires européennes sous la présidence de Jacques Chirac. J’ai une affection particulière pour mon premier poste d’ambassadeur en Roumanie, qui a duré cinq ans. C’était une période charnière, celle de l’après-Ceausescu, il y avait un enjeu important de restauration des relations diplomatiques. Au cours de cette mission, j’ai appris le roumain, qui est une langue latine pas si éloignée du français. Le peuple roumain est fier de sa langue et exigeant sur son expression, ce qui m’a encouragé à bien savoir la parler.
Une autre expérience très intéressante et intense a été celle de la Tunisie. Ma mission a coïncidé avec la révolution tunisienne, le printemps arabe, et lorsque je me suis trouvé en difficulté au bout de deux ans, j’ai dû regagner la France. J’ai fait état de cette expérience dans mon précédent livre, Un ambassadeur dans la révolution tunisienne, qui est une analyse politique documentée, et j’ai été invité à faire des conférences dans les pays d’Europe à l’occasion de sa parution. J’ai une grande proximité avec la Tunisie et le peuple tunisien, qui entretient majoritairement un islam modéré. Mon regard sur l’islam s’en trouve aujourd’hui ouvert.
Mais j’ai également beaucoup apprécié ma mission en Pologne, nation qui retrouvait sa fierté après deux siècles de malheurs. Et aux Pays-Bas, pays très proche de la France et dont le modèle est pourtant si différent.
2/ Dans votre roman, vous énoncez une théorie de l’amour : selon vous, l’amour qui fonctionne, l’amour viable est celui qui répond favorablement à quatre facteurs. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Je ne sais pas si j’ai énoncé une théorie de l’amour. En tout cas, il m’apparaît qu’effectivement quatre composantes entrent en jeu dans l’amour, chacune de ces composantes pouvant être associée à l’une, à l’autre ou à plusieurs des autres. Il y a tout d’abord le sentiment ou le ressenti, qui est l’attirance, l’intérêt, l’émotion que l’on éprouve pour quelqu’un. Il y a ensuite ou en même temps l’expression de ce sentiment, qui est le discours que l’on tient sur cet amour ou cette personne et/ou l’acte sexuel. Voilà pour le versant passionnel. Ensuite, il y a le versant rationnel ou intellectuel et social, qui consiste en premier lieu en l’idée de l’amour, c’est-à-dire en la conception personnelle que l’on s’est forgée de l’amour, les stéréotypes, les a priori que l’on a sur l’amour et qui relèvent de notre histoire personnelle (épouser un homme ou une femme riche, rencontrer le prince charmant…), et enfin il y a la raison (ou la déraison), qui est l’insertion de cet amour dans la vie, l’aspect sociétal, sociologique, de cet amour, sa confrontation à des amours existantes, sa rationalisation et son transfert possible et durable dans le monde familial, social, réel et non plus fantasmé.
La réussite et la durabilité de l’amour sont évidemment mieux assurées quand les quatre composantes sont réunies autour du même objet. Mais toute relation amoureuse repose sur un certain dosage entre ces quatre éléments. Et celui-ci évolue dans le temps, affectant ainsi souvent le devenir de l’amour.
3/ Ce livre est votre premier ouvrage de fiction. Sur le plan des relations biographie/fiction ou faits réels/faits fictionnels, quelle transposition fictionnelle avez-vous mise en place dans ce roman ? Comment concevez-vous la relation auteur-personnage ?
Le personnage qui est le plus proche de moi est Henri Roubissat, l’ambassadeur de France, ami qui suscite et recueille les confidences de Luigi di Scossa, dans un dialogue philosophico-libertin. De même, le récit des aventures de jeunesse de Luigi est peu transposé (ce sont mes stages de l’ENA, en Guinée et en Champagne-Ardennes). Les expériences de Luigi en Roumanie et au Luxembourg s’inspirent de l’histoire d’un autre ambassadeur francophone, librement transposée.
Dans la dernière partie du livre, j’ai placé des personnages réels, historiques, comme De Gaulle, qui délivre un message politique très actuel : l’Europe se fera sans la Grande Bretagne, tant mieux si les Anglais en sortent ! J’ai également voulu donner la parole à des philosophes comme Socrate ou Nietzsche, qui développent leur leçon de vie. Pendant cette partie du roman on ne sait pas si Scossa est bien décédé et s’il habite une forme d’au-delà ou bien s’il rêve pendant une période d’inconscience. Au lecteur de le dire, en fonction de ses croyances et de son interprétation et au-delà de l’option finalement proposée par l’auteur.
Sylvie Ferrando
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